Marianne North, Chasseuse de plantes (1830-1890)

Marianne North (1830-1890)Marianne North et son père Frederick North se rendaient souvent dans les jardins botaniques royaux de Kew. Au cours d’une de leur visite, le directeur, botaniste et ami de la famille William Jackson Hooker offrit à Marianne un bouquet suspendu de l’Amherstia nobilis, une plante originaire de Thaïlande et de Birmanie qu’elle décrivit comme ‘une des plus grandioses fleurs qui existe’. Nous étions en 1856 et Marianne nourrissait le désir ardent de se rendre dans un pays tropical pour y peindre sa végétation.

Botaniste, illustratrice et voyageuse hors du commun, Marianne North est née le 24 octobre 1830 à Hastings au sein d’une riche famille victorienne. Ainée d’une famille de trois enfants, Marianne était très proche de son père Frederick North, un riche propriétaire terrien et député libéral du comté de Hastings. Sa mère Janet était la fille de Sir John Marjoribanks, baron de Lees et député écossais.

Si elle ne reçoit aucune éducation formelle — elle connut un court passage à l’école qui ne fut pas une expérience concluante —, le style de vie bohémien de sa famille lui fait rencontrer de nombreux musiciens, artistes et botanistes, comme William Henry Hunt et Edward Lear. Charles Darwin était par ailleurs un ami de Frederick North. Enfant, Marianne reçut des leçons en chant et piano, avant de se concentrer plus tard sur le dessin et la peinture, attirée dès le départ vers les plantes. Sa famille voyagea à travers l’Europe entre 1847 et 1850, ce qui lui donna une envie de voir le monde qui ne la quittera plus par la suite.

Bien que Marianne n’ait que quelques mots à laisser dans son autobiographie sur le sujet, la mort de sa mère en 1855 marque un premier tournant dans sa vie, faisant à cette dernière la promesse qu’elle ne quitterait jamais son père. Elle s’y tint et s’ensuivit pour le duo de multiples voyages en Europe, également accompagnée par sa sœur au cours des neuf années suivantes avant qu’elle ne se marie. C’est au cours de l’un d’entre eux, alors que Marianne à 37 ans, qu’elle découvrit la peinture à l’huile grâce à l’artiste australien Robert Dowling. Une expérience transformatrice pour Marianne qui devint accro à cette méthode.

A Bornean Crinum, 1879
A Bornean Crinum, 1879

L’univers de Marianne North s’écroula lorsque son père, en octobre 1869, mourut. Il était le centre de son monde et elle se retrouvait soudainement toute seule. De cette perte, Marianne reçut un large héritage qui lui permettait de faire tout bonnement ce qu’elle voulait.

À presque 40 ans, Marianne North était maitresse de son destin. S’il était attendu qu’une femme se marie, et s’occupe de la maison et des enfants, ce style de vie ne l’attirait pas du tout. Elle percevait le mariage comme une ‘terrible expérience’ qui transformait la femme en une ‘domestique de classe supérieure’.  Selon ses propres dires ‘le tourment de la haute société était une pénitence’. Marianne n’était pas en quête de relations humaines, elle s’épanouissait seule au milieu des plantes et des fleurs.

Nepenthes northiana,1876.

Elle vendit la maison à Hastings et, armée de son matériel de peintre, commença son tour du monde en Sicile, puis en Amérique, où elle visita le Canada, les États-Unis et la Jamaïque avant d’explorer le Brésil. Elle ne craignait pas d’aller contre les conventions de l’époque, qu’elle n’appréciait guère, préférant voyager seule et peu soucieuse de sa propre sécurité. Si Marianne aimait la compagnie des plantes, elle était une plus qu’agréable convive qui put voyager d’un pays à l’autre grâce aux lettres d’introduction, sorte de sésame qui ouvrait toutes les portes. Les codes de la société victorienne réclamaient qu’une personne soit proprement présentée avant toute interaction sociale, soit par une autre personne, soit par lettre. Dès lors, ces lettres étaient comme un réseau qui connectait les membres de la classe britannique supérieure dans tout l’Empire.

En six ans, Marianne North explora une douzaine de pays (dont le Japon, Bornéo, Java et Ceylan), et put dès lors peindre de tout son saoul. Son style de vie nomade lui permettait d’être libre d’explorer et de peindre ce qu’elle voulait. Sans surprise, elle n’avait aucune difficulté à briser les codes propre à l’illustration scientifique en pratique à son époque. À la différence des autres artistes, Marianne North se distinguait d’abord pour son utilisation de la peinture à l’huile, à une période où les représentations botaniques étaient généralement au pinceau ou à l’aquarelle. Ensuite, elle fit le choix de ne pas peindre les plantes sur un fond neutre, mais de les représenter dans leur environnement naturel.  Sans surprise, peindre au milieu de la nature avait ses contraintes, et Marianne peignait sur cartons et avec un nombre de couleurs limitées par besoin de voyager léger — sans oublier qu’il fallait également se rendre avec le matériel dans des lieux parfois difficile d’accès.

Papyrus ou roseau à papier poussant dans la Ciane, en Sicile, 1870

Le transport de ses propres affaires n’était pas le seul « désagrément » rencontré au cours de ses voyages. Les conditions étaient souvent difficiles et dangereuses auxquelles venaient s’ajouter les blessures et les maladies qui n’épargnèrent pas Marianne. Au cours de ses explorations, elle eut plusieurs fractures, attrapa la grippe, la typhoïde ou encore le rhumatisme articulaire aigu. N’oublions pas que Marianne North vivait à une époque où l’on recommandait d’utiliser de l’arsenic pour éclaircir le teint (c’était aussi parfait pour commettre un meurtre, mais c’est un autre sujet…). La médecine avait encore beaucoup de chemin à parcourir, et de découvertes à faire, alors que la santé de Miss North était mise à l’épreuve.

Quoi qu’il arrive, Marianne n’était pas du genre à abandonner et continua à explorer le monde, se rendant en Asie du Sud, et passa 15 mois en Inde où elle peignit plus de 200 tableaux. En 1880, suite à une suggestion de Charles Darwin, elle passa un an en Australie et Nouvelle-Zélande, où elle produisit plus de 300 peintures. Puis elle alla en Afrique du Sud, dans les Seychelles, et enfin au Chili. Ses voyages menèrent à la découverte de nombreuses plantes, dont plusieurs furent nommées en son honneur comme Areca northiana, Crinum northianum, Kniphofia northiae, Nepenthes northiana, et le genre Northia.

Feuillage, fleurs et graines de coton et fruits de la Caïmite, Jamaïque, 1872

La seule chose qui pouvait bien stopper Marianne North de voyager était de ne plus avoir la santé pour pouvoir le faire. Elle s’installa alors à Gloucestershire pour y passer les dernières années de son existence, à écrire son autobiographie avant de mourir le 30 août 1890 à l’âge de 59 ans.

Si Marianne North peignait par passion, elle était également en quête de respect et de reconnaissance de son travail. Elle voulait que le public puisse découvrir lui aussi cette nature et il était important pour cela qu’elle expose son travail. C’est après le succès d’une exhibition à Londres en 1879 que lui vient l’idée de donner sa collection aux jardins botaniques royaux de Kew, maintenant sous la direction de Sir Joseph Hooker — le fils de William Jackson Hooker. Pour ne rien gâcher, Marianne proposa de faire faire ériger la galerie à ses frais. Autant dire qu’il s’agissait là d’une proposition difficile à refuser, et sa galerie à Kew fut inaugurée en 1882 — et peut encore être découverte de nos jours. On y trouve les 832 œuvres de Marianne North qui occupent tout l’espace, du sol au plafond, un véritable tour du monde botanique nous emmenant sur 5 continents et 17 pays.


Complémenter la lecture de cet article en vous penchant sur un autre artiste britannique, Louis Wain, qui dessinait des chats.