Frankenstein, le trafic de cadavres et la loi sur l’anatomie 1832
1832 au Royaume-Uni est plus connu – sur un plan politique – pour le passage du Reform Act qui modifia le système électoral. C’est aussi cette année-là que fut passée la loi sur l’anatomie de 1832 (ou L’Anatomy Act 1832) qui se trouve d’ailleurs être l’un des sujets de The Frankenstein Chronicles.
Cette série britannique mettant en scène Sean Bean nous ramène dans l’Angleterre de Mary Shelley, à une époque où la demande croissante en cadavres pour les recherches scientifiques a entrainé l’exhumation clandestine de corps et créée un fort trafic de cadavres.
La connexion entre ce trafic et la conception de Frankenstein est donc évidente. Victor avait besoin de corps pour créer son monstre et il les trouvait principalement dans « les caveaux et les charniers » :
Les ténèbres n’avaient point d’effet sur mon imagination, et un cimetière n’était, à mes yeux, que le réceptacle de corps privés de vie qui, après avoir été le temple de la beauté et de la force, étaient devenus la nourriture des vers. Voici que j’étais amené à examiner la cause et les étapes de cette corruption, et contraint de passer des jours et des nuits dans les caveaux et les charniers. (Frankenstein)
Publié une première fois en 1818, puis réédité en 1823 et 1831, Frankenstein fait écho au travail des scientifiques qui, en ouvrant les cadavres, enchainait les découvertes importantes pour une meilleure compréhension du corps humain. Victor ira bien entendu trop loin, comme d’autres dans la réalité.
À la fin du 18e siècle et dans les premières années du 19e siècle, les recherches anatomiques débouchaient sur de nombreuses découvertes. Pour que celles-ci se produisent, les chercheurs avaient besoin de corps à disséquer.
Légalement, les seuls corps qui étaient à disposition pour la dissection étaient ceux d’hommes et de femmes condamnés à mort, selon le Murder Act de 1972 qui offrait la possibilité au juge de remplacer l’exposition publique du cadavre sur un gibet par une dissection. C’était loin d’être une condamnation fréquente, le nombre de corps humains disponibles pour les recherches était alors loin d’être suffisant.
Dans ce contexte, les anatomistes faisaient appel au service de trafiquants dits les resurrectionists. C’était tout simplement des profanateurs de sépultures, comme Jerry Cruncher dans Un conte de deux villes. Ils déterraient des corps récemment inhumés pour les livrer à leurs clients en échange d’une somme d’argent. Malgré la nature clandestine de cette activité, c’était un vide juridique qui permettait cette pratique : le cadavre n’était la propriété de personne. Cette pratique était bien entendu détestée par le public, qui avait par ailleurs en horreur la dissection.
Les anatomistes aussi abhorraient ces hommes et cette méthode, réclamant une législation qui y mettrait un terme. Une société d’anatomistes fut fondée en 1810 dans ce but et cela aboutit au rapport d’une commission en 1828 qui était en faveur d’un changement de la loi. Peu concerné par le problème, le gouvernement ne fit rien à ce moment-là.
Il fut cependant forcé de considérer qu’il fallait faire quelque chose lorsqu’il fut découvert que William Burke et William Hare avait tué 17 personnes pour les vendre à Robert Knox, un anatomiste à Édimbourg qui ne posait aucune question. Le sujet était loin d’être perçu sous l’angle comique qu’exploita le long-métrage Cadavres à la pelle qui s’inspire de cette histoire. Ils furent suivis par les London Burkers, un groupe de profanateurs de sépultures ayant modelé ces activités sur le duo.
Ces meurtres placèrent au grand jour la crise qui touchait le milieu médical. Après avoir déjà présenté une loi au Parlement en 1829, le politicien et scientifique amateur Henry Warburton présenta une seconde en 1832 qui cette fois-ci, malgré une opposition toujours soutenue, passa dû à une pression populaire forte. Les resurrectionists n’étaient plus de simples voleurs de cadavres, ils étaient devenus des meurtriers.
L’Anatomy Act 1832 ne mit cependant pas un terme au phénomène, comme certains ont pu espérer ou le croire. Si 600 corps étaient disponibles pour les écoles médicales en 1832-33, le chiffre ne tarda pas à retomber – dépassant à peine 300 en 1845-46.
Le problème principal résidait bien évidemment dans l’image que la population avait de la loi. Surnommé la ‘Dead Body Bill’, ‘Dissection Bill’ ou encore le ‘Blood-stained Anatomy Act’, l’Anatomy Act ne changea en rien le rapport entre le peuple et la dissection. Au contraire, cela intensifia les sentiments de dégoûts envers les anatomistes et les étudiants en médecine qui, aux yeux des gens, mutilaient les morts.
The Anatomy Act permit donc avant tout de mettre un terme aux activités des resurrectionists, même s’il faudra attendre les années 40 pour qu’ils disparaissent complètement. Les protestations contre l’acte en lui-même perdurèrent également jusque dans les années 40, poussant au final la profession médicale à dissimuler ses activités au public — une pratique toujours en place dans certaines limites de nos jours.