I Am (Je Suis) de John Clare

Décrit comme « le poète romantique par excellence » par William Howard dans son Dictionary of Literary Biography, John Clare (13 juillet 1793 – 20 mai 1864) est aujourd’hui considéré comme l’un des poètes les plus importants de sa génération, aux côtés de John Keats et William Wordsworth.

Fils d’un ouvrier agricole autodidacte et pauvre au-delà de l’imaginable, Clare fut célébré pendant un temps comme le « Poète paysan » (Peasant Poet) à une époque où l’illettrisme était commun parmi les travailleurs ruraux et où les poètes émergeaient avant tout des classes supérieures. La poésie de Clare illustre la campagne anglaise et la vie rurale, ainsi que ses lamentations sur les bouleversements qu’elle subit. Son travail reflète également l’amour qu’il porte à sa femme Patty et revient aussi sur son amour de jeunesse.

Lorsqu’il était à la mode, Clare recevait des visiteurs qui venaient le voir dans son cottage et qui lui donnaient quelques pièces. Cependant, son talent n’était pas suffisant pour lui permettre de vivre, et Clare se trouvait régulièrement pris entre deux mondes, celui de la poésie et le besoin de gagner de l’argent pour nourrir sa famille. Entre des périodes de dépression et une consommation d’alcool croissante, la santé mentale de John Clare se dégrada au point de le rendre erratique et un poids pour sa femme et ses enfants. Il accepta de se faire interner à l’Hhôpital psychiatrique général de Northampton en 1841, où il fut rapporté qu’il souffrait d’hallucinations. Il y resta jusqu’à la fin de sa vie, et c’est durant ces premières années d’internement qu’il écrivit son poème, peut-être le plus connu aujourd’hui, « I Am » (Je Suis).

Je Suis – John Clare
Traduit par François Holmey.

Je suis – mais qui je suis, nul ne sait ou s’en soucie ;
Mes amis me délaissent tel un souvenir vieux :
De mes propres souffrances je me rassasie –
Elles enflent et meurent dans un essaim oublieux
Comme les ombres de nos affres amoureuses –
Et pourtant je suis et je vis – ballotté, vaporeux,

Dans le vaste néant du mépris et du bruit,
Dans l’océan vivant des rêves éveillés
Sans le moindre bonheur et sans la moindre vie,
Que le naufrage seul de mes vies estimées ;
Et même les êtres que j’aime, les êtres chers,
Me sont devenus étrangers – et je les perds.

Je rêve de lieux ou nul homme n’a marché,
Où nulle femme encore n’a souri ni pleuré,
Ainsi là avec Dieu, toujours, y demeurer,
Et rêver tel qu’enfant doucement j’ai rêvé,
Serein et calme, couché dans un songe éternel,
L’herbe en dessous – par dessus, l’arche du ciel.

Ci-dessous, la version originale:

I am—yet what I am none cares or knows;
My friends forsake me like a memory lost:
I am the self-consumer of my woes—
They rise and vanish in oblivious host,
Like shadows in love’s frenzied stifled throes
And yet I am, and live—like vapours tossed

Into the nothingness of scorn and noise,
Into the living sea of waking dreams,
Where there is neither sense of life or joys,
But the vast shipwreck of my life’s esteems;
Even the dearest that I loved the best
Are strange—nay, rather, stranger than the rest.

I long for scenes where man hath never trod
A place where woman never smiled or wept
There to abide with my Creator, God,
And sleep as I in childhood sweetly slept,
Untroubling and untroubled where I lie
The grass below—above the vaulted sky.

Pour continuer à explorer le monde de la poésie, replongez dans le classique poème Ring Out, Wild Bells (Sonne, cloche éperdue) d’Alfred Lord Tennyson.