House of Cards : Aux origines de la série politique anglaise des années 90
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Michael Dobbs ne fut jamais premier ministre. Il occupa bien d’autres positions dans la politique, à partir de la moitié des années 70 en tant que membre du Parti conservateur. Il fut le conseiller de Margaret Thatcher et chief of staff pour Norman Tebbit. Dobbs travailla également pour l’agence publicitaire Saatchi and Saatchi, possédant des liens étroits avec le parti conservateur. Il s’éloigna un temps de la politique en 1987, après la troisième élection de Thatcher qui conduisit à des critiques sur les méthodes de campagne de Tebbit. Après le départ de Thatcher, il revint pour assister John Major dans son gouvernement (1994-1995), et obtint « life peer », c’est-à-dire qu’on lui donna le titre de Baron et une place à vie à la chambre des Lords, en 2010.
Durant son hiatus post-1987, Michael Dobbs commença sa carrière en tant que romancier avec la publication en 1989 de House Of Cards, premier livre (et le plus populaire) d’une trilogie relatant la montée au pouvoir de Francis Urquhart, de chief whip (député ou représentant chargé de veiller à ce que les élus de son parti soient présents et votent en fonction des consignes du part) à Premier ministre. Le livre est porté à l’écran sous la forme d’une série de 4 épisodes peu de temps après.
Tout commence après la démission de Margaret Thatcher. Le parti Conservateur s’apprête à élire un nouveau leader. Francis Urquhart, alors chief whip du gouvernement à la Chambre des communes, aide Henry « Hal » Collingridge à remporter la victoire, espérant ainsi une promotion au sein du prochain Cabinet comme on lui a promis. Mais après les élections générales, que le parti remporte avec une faible majorité, Collingridge — citant l’exemple d’Harold Macmillan renvoyant le tiers de son Cabinet en 1962 — ne compte pas faire de remaniement ministériel. Urquhart est donc bien résolu à se venger de Collingridge, avec le soutien de sa femme Elizabeth, et prendre ce qu’il considère lui revient de droit. Il va alors mentir et manipuler pour grimper les échelons de la politique.
La série House of Cards rencontra le succès et fut rapidement perçu comme une sorte d’œuvre Shakesperienne moderne, inspirée par les pièces Macbeth et Richard III. Ian Richardson lui-même, acteur au background shakespearien, déclara avoir basée son interprétation de Francis Urquhart — en plus d’inspirations sur des personnes existantes — sur le Richard III de Shakespeare.
Cependant, des différences notables entre le livre et la série vont changer la donne – et le futur de House of Cards. Ne partageant pas les mêmes idéaux politiques que Dobbs, le scénariste Andrew Davies injecta un humour noir qui était totalement absent du roman, ne se gênant pas pour critiquer comment les Conservateurs utilisaient le pouvoir qu’ils avaient. Jusqu’au bout, les deux hommes auront une vision différente de la politique. Dobbs reste convaincu que la politique peut conduire à la vérité, à la justice et au triomphe du bien, là où Davies offre une vision cynique qui définira l’adaptation d’un bout à l’autre.
Politicien froid et calculateur, Francis Urquhart trouva sa route vers le succès entre les mains d’Andrew Davies. Dans les pages du roman, l’homme politique se suicide du haut du palais de Westminster lorsqu’il est menacé d’être exposé. A l’écran, Urquhart élimine celle qui a tout découvert et peut ainsi poursuivre sa carrière.
Suite à la diffusion du programme, Dobbs révise son roman dans le but qu’il corresponde plus à ce qui se produit dans la série TV et lui offrant dès lors la possibilité de continuer. Il ramena Urquhart à la vie en tant que Premier Ministre pour deux livres, qui furent également adaptés par Andrew Davies: To Play The King et The Final Cut. C’est là qu’émergea, sous la plume du scénariste, le parallèle entre le fictionnel premier ministre et Margaret Thatcher, avec Francis voulant même avoir sa propre version de la guerre des Malouines.
Urquhart, parfaite représentation du pouvoir politique, permet ainsi à la trilogie House of Cards de se démarquer encore plus en s’adressant directement au spectateur, brisant le quatrième mur, un procédé propre à la télévision, mais qui était rarement utilisé dans une série dramatique. Davies défie alors les conventions de l’époque dans le but d’offrir une perception plus large du protagoniste. Cela aide ainsi à connecter avec Urquhart, de mieux cerner ses intentions et juger de la véracité de ses propos.
Les années 90 marquèrent également une évolution esthétique à la télévision, qui affecta House of Cards avec l’intégration de mouvement de caméra plus fluide et varié, un travail de coloration plus précis. Cela était facilité par le fait que les programmes bénéficiaient d’un budget plus conséquent qu’auparavant. La collaboration créative entre réalisateurs qui avait plus de libertés et le scénariste participa ainsi à élever le niveau de la production.
Le reste, pourrait-on dire, appartient à l’histoire. La trilogie House of Cards (comprenant un total de 12 épisodes) s’est établie comme une série, politique ou non, de référence du petit écran britannique. Elle occupe la 84e place au classement des cent meilleurs programmes télévisés britanniques établi par le British Film Institute en 2000.