Ada Lovelace, la comtesse qui savait coder

Ada Lovelace, née Augusta Ada Byron le 10 décembre 1815, était une mathématicienne et une auteure qui a longtemps semblé vouer à l’oubli, comme tant de femmes au cours de l’histoire. Néanmoins, les choses ont changé et elle est aujourd’hui largement reconnue comme la première programmeuse informatique au monde.

Fille du poète romantique Lord Byron et de Lady Anne Isabella Milbanke, Ada Lovelace est également la seule enfant légitime de Byron qui a nommée sa fille Ada en hommage à sa propre demi-sœur, Augusta Leigh, dont le deuxième prénom était Ada.

Un mois après la naissance de leur fille, Byron et sa femme se séparèrent et le poète quitta l’Angleterre peu de temps après. Ada ne connut jamais son père qui décéda en Grèce lorsqu’elle n’avait que huit ans.

Portrait d’Ada Lovelace réalisé par Alfred Edward Chalon (1838)

Déterminée à tenir sa fille éloignée le plus possible de l’héritage culturel et de l’apparente folie de Byron, Lady Anne Isabella Milbanke opta pour une éducation stricte tournée vers des activités plus rationnelles pour sa fille. Elle favorisait diverses disciplines, incluant les sciences et les mathématiques, alors qu’elle dissuadait toute éducation littéraire. Elle donna également à sa fille une enfance plutôt isolée, Ada ayant grandi en compagnie de gouvernantes, de précepteurs et de son chat, Mlle Puff, alors que sa mère était souvent absente.

Mère et fille firent néanmoins un voyage ensemble en Europe lorsque Ada fut âgée de 11 ans, ce qui conduisit la jeune fille à développer de nombreuses pensées sur son envie de voler comme un oiseau. Elle mena de méthodiques recherches sur le sujet et créa même un guide illustré qu’elle nomma « Flyology » pour consigner ses découvertes. Elle s’éloigna de ce projet lorsque sa mère la réprimanda pour négliger ses études qui devaient logiquement la tenir éloignée de ce genre de fantaisie.

L’enfance d’Ada Lovelace fut de plus marquée par la maladie (la rougeole) et elle s’en retrouva alitée et en mauvaise santé pendant trois ans. Elle se rétablit juste à temps pour suivre la coutume des jeunes filles de la société de l’époque : à 17 ans, elle se rendit à Londres pour la saison mondaine et être « présentée à la Cour ».

Le 5 juin 1833, 26 jours après avoir été introduite au roi, elle assista à une fête chez Charles Babbage, âgé de 41 ans (dont le fils aîné avait le même âge qu’Ada). Elle est introduite à l’hôte par la scientifique et polymathe écossaise Mary Somerville, amie proche et instructrice d’Ada, et ce dernier l’invita, ainsi que sa mère, à revenir pour une démonstration de sa nouvelle invention, la machine à différences ! Cette machine à calculer des tables de fonctions polynomiales est un engin manuel de 60 centimètres de haut, doté de 2000 pièces en laiton, désormais visible au Science Museum de Londres.

La Machine à différence No 1 de Charles Babbage

De cette rencontre se développa une riche relation entre Ada et Babbage, composée d’une correspondance fort abondante. Babbage en viendra à surnommer Ada « l’enchanteresse des nombres », reconnaissant à la fois ses capacités mathématiques et sa personnalité charismatique.

Si Lovelace avait développé un intérêt précoce pour les sciences, influencée par les cercles intellectuels de sa mère, les années suivantes furent plus tournées vers la vie domestique. À l’âge de 19 ans, elle fit la rencontre de William King, un ami du fils de Mary Somerville, éduqué à Eton et Cambridge, un érudit et diplomate distingué. Le couple se maria le 8 juillet 1835, et ils eurent trois enfants : Byron, Anne Isabella et Ralph Gordon, nés respectivement en 1836, 1837 et 1839.

Ses années furent donc occupées par la gestion de la demeure et ses enfants, lui laissant tout de même un peu de temps pour faire du cheval, apprendre la harpe et les mathématiques. La Reine Victoria monta sur le trône en 1837, et un an plus tard, William devint un comte, faisant d’Ada la Comtesse de Lovelace.

Quelques mois après la naissance de son troisième enfant, Ada décida de se replonger plus sérieusement dans les mathématiques avec l’aide d’un instructeur. C’est l’éminent mathématicien Augustus De Morgan, ami de Babbage et le mari de la fille du principal professeur d’enfance de la mère d’Ada, qui endossa ce rôle. Il en découla aussi une correspondance faite de discussions sur multiples concepts mathématiques, logiques et philosophiques.

Ada Lovelace peinte par Margaret Sarah Carpenter (1836)

Son cursus en mathématiques se retrouva néanmoins déraillé par sa mère qui, suite à un échange postal, lui écrivit qu’avant sa naissance, Byron et sa demi-sœur auraient eu un enfant ensemble. Si l’inceste n’était pas illégal en Angleterre à cette période, cette information eut un effet terrible sur Ada dont les problèmes de santé empirèrent en 1841, la poussant à prendre de l’opium. Si elle envisagea même un temps de s’éloigner des mathématiques, son mari parvint à l’en dissuader.

La contribution la plus importante d’Ada Lovelace était maintenant au tournant. Après la publication d’un papier en français par le mathématicien italien Luigi Federico Menabrea sur l’autre fameuse machine de Babbage, la machine analytique imaginée en 1834 – basé sur les notes prises au cours d’une conférence donnée par Babbage à Turin –, Lovelace décida de le traduire en anglais. En parallèle à l’article, elle y ajouta de nombreuses notes au point que ses annotations dépassèrent la taille de l’article original. Durant cette période de travail, la correspondance entre Babbage et Lovelace était journalière. Elle arriva au terme de ce travail vers la fin de juillet 1843, et ce sont avec ces notes qu’elle marqua l’histoire de l’informatique.

En effet, c’est dans ce papier qu’elle expliqua, en marge de la description fournie par Menabrea, toutes les promesses d’une telle machine qui pourrait réaliser des opérations mathématiques, et un jour peut-être composer de la musique. Elle illustra par ailleurs comment la machine pourrait résoudre de complexes problèmes en écrivant un programme pour le calcul des nombres de Bernoulli.

Plaque commémorative pour Ada Lovelace, située au 12 St James’s Square, St James’s, Londres (Wikimedia Commons).

Si cela avait pu être le début d’une période fructueuse et épanouie pour Lovelace, ce n’est pas la direction que prit son existence, entre ses responsabilités familiales, sa santé fragile et des problèmes financiers qui vinrent s’ajouter à tout cela. Il y avait les entreprises de son mari qui les forçait à se tourner vers sa mère pour le financement, ainsi que, durant un temps, son penchant pour les paris sur les courses de chevaux qui donna le jour à une accumulation de dettes.

Mai 1851 est marquée par l’ouverture de l’Exposition Universelle à Londres, un évènement dans lequel Babbage, Lovelace et tous leurs proches scientifiques sont impliqués. À cette période, la santé de Lovelace continuait de se détériorer jusqu’à ce que, dans l’année suivante, les médecins admettent qu’elle a un cancer. L’opium ne fait plus d’effet et les recommandations pour passer plus de temps au bord de la mer sont vaines. Ada Lovelace s’accrocha néanmoins jusqu’au 27 novembre 1852, où elle mourut à l’âge de 36 ans.

Lovelace appelait souvent son domaine d’étude de « science poétique », soulignant l’importance de la métaphysique dans l’étude des mondes invisibles qui nous entourent. Elle se qualifiait elle-même d' »analyste (et métaphysicienne) », embrassant la synthèse de la pensée abstraite avec la rigueur mathématique.

Aujourd’hui, celle qui faillit être oubliée dans les petites lignes d’histoire a vu son travail être exhumé avec l’avènement de l’informatique. Fondé en 2009 au Royaume Uni, L’Ada Lovelace Day est célébré le deuxième mardi d’octobre pour sensibiliser aux contributions des femmes aux sciences.

Complémenter la lecture de cet article avec une de mes bandes dessinées préférées, The Thrilling Adventures of Lovelace and Babbage, puis en revisitant l’histoire de Marianne North, botaniste et illustratrice victorienne.